mercredi 1 octobre 2008

Résistance

Une amie chez Aide me disait hier: "tout ça est épuisant, on a l'impression d'être entré dans la résistance". Des amis comédiens durant un apéro: "On résiste mais combien de temps avant de laisser tomber, trouver un CDI et prendre un appartement à crédit...". Ce WE, à Bruxelles, Fabrice, sculpteur et ami, parlait de résistance, Samuel et fanny, Nicolas et Hélène, universitaires, parlaient de résistance, François, gérant d'un grand restaurant, parlait lui aussi de résistance.
Mais à quoi avons nous l'impression plus ou moins de forte de résister ?
A la vie, à son cortèges d'ennuis, au temps qui passe, à la pression sociale, à des gouvernements pour qui la justice et le progrès social sont accessoires, aux inhumanités que nous portons en nous... est-ce à tout cela que nous résistons ?
Peut-être, certainement.
Mais nous résistons aussi à nos folies, à nos solutions modestes, éphémères, pour vivre autrement, pour nous ressembler un peu plus.
C'est ce tiraillement, plus que tout le reste, qui nous épuise.
Derrière le Sida je vois la honte, le rejet, la haine de soi, la misère affective, financière, intellectuelle. Je vois ces ombres derrière l'alcoolisme festif qui gangrène la communauté gay et de plus en plus de gamins, cet alcoolisme qui me donne parfois des envies de sobriété stricte et puritaine. Je les vois derrière le taux de suicide des moins de 25 ans, derrière l'isolement grandissant de ces vieilles folles qui firent flamboyer les années 60, 70, passèrent par le pire des cauchemars qu'ils ne pouvaient imaginer et s'éteignent à présent dans l'indifférence ou le mépris d'une génération qui veut se croire éternellement jeune et intégré.
A quoi dois-je résister, d'où me vient ce sentiment d'oppression ?
J'écoute Ferré:
"Ces yeux qui te regardent et la nuit et le jour
et que l'on dit braqués sur les chiffres et la haine
ces choses "défendues" vers lesquelles tu te traînes
et qui seront à toi
lorsque tu fermeras
les yeux de l'oppression."

Et je me dis que si jamais ne se ferment les "yeux de l'oppression" du moins nous n'aurons pas baisé le regard, nous aurons essayé de tenir tête comme ces gamins ivres d'orgueil, de morgue et de rêves dans les cours de récréation.
Nous n'aurons pas fermé les yeux sur et devant l'oppression.
Nous aurons résisté, nous résistons encore.
Nombreux sont les visages de l'oppression mais plus nombreux encore sont les visages de ceux qui lui ont tenu la dragée haute.
Peut-être que Léo parlait aussi des résistants du quotidien, de l'illusoire, du dérisoire, des petits pas, des jolis regards, des franches poignées de mains...
quand il chantait:
"Ils marchent dans l'azur la tête dans des villes
et savent s'arrêter pour bénir les chevaux.
Ils marchent dans l'horreur la tête dans des îles
où n'abordent jamais les âmes des bourreaux."

De mes îles aux vôtres je sais qu'il n'y a qu'un pas pour l'avoir souvent franchi avec mes talons. Nos résistances sont solidaires, je suis certain qu'elles savent se faire écho les unes aux autres.

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